Tuesday, August 18, 2015

Henriette Walter, "Le français dans tous les sens"


– Robert Laffont 2005

Lu du 17 juillet au 17 août 2015

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Il y a un ou deux mois je me suis beaucoup amusée en lisant une petite annonce collée sur la fenêtre de mon épicerie : « nous avons blé dinde ». C’est après la lecture du livre de Henriette Walter, Le français dans tous les sens, que j’ai constaté que, sans se rendre compte, la préposée qui avait écrit l’annonce ne s’était pas tellement trompée. Effectivement, le nom de la dinde a évolué du syntagme « poule d’Inde » comme elle était jadis nommée.

L’étude de Henriette Walter est plein de ce genre d’informations à la fois amusantes et intéressantes concernant non seulement l’évolution des mots, mais aussi celle des sens, de la prononciation et de l’orthographe, le tout organisé comme une histoire soit diachronique, soit synchronique du français dont elle révèle les traits historiques, géographiques et structuraux tout en capturant, comme dans un bildungsroman, son évolution dynamique.


Avec une ironie tendre, l’auteure se moque du respect que les Français ont pour leur langue et pour ses règles souvent incohérentes et absurdes, de leur soin de lui garder la pureté si mise en valeur par les écrivains de la Pléiade, de la résistance qu’ils ont pour toute reforme qui essaierait de mettre un peu d’ordre dans l’arbitraire des décisions des académiciens du temps de Richelieu qui, dans leur effort de créer une orthographe unique ont, entre autres, rétabli des formes archaïques avec des consonnes superflues (corps, temps,) ou ont choisi entre les formes avec « e » ou « a » (asperge non asparge, guérir non guarir, harneux non herneux) sur le principe que même si « e » est plus doux que « a », il ne faut quand même exagérer (!). Puis, en 1835, avec la parution de la 6e édition du dictionnaire de l’Académie (considéré la Bible de l’orthographe), l’orthographe telle qu’on la connaît et maudit aujourd’hui deviendra obligatoire dans tous les examens et les documents.

D’autres informations incitantes concernent l’évolution du sens. Par exemple, « bureau » désignait initialement un tissu, puis le meuble que le tissu couvrait, puis la chambre où ce meuble se trouvait, etc. Ensuite, concernant cette fois la prononciation, il n’a pas été moins intéressant d’apprendre que ce qu’on appelle aujourd’hui le « h aspiré » provient de la consonne « h » introduite par les Francs et que les romains ne prononçaient plus (ce qui se voit également dans les mots d’origine latine de l’anglais où cette consonne est devenue muette aussi : honest, heir, honour, hour).

Il est également bon de savoir que la double négation (une particularité du français parmi les langues romanes), est née de l’habitude de renforcer le « ne » par pas, point, mie, goutte, ail, clou, miette, grain :
À l’origine, pas garde son sens premier dans il ne marche pas « il ne fait pas un pas ». Mais on préférait probablement dire il ne mange mie (ou miette) « il ne mange pas une mie, pas une miette », il ne boit goutte « il ne boit pas une goutte », il ne coud point  « il ne coud pas un point », il ne moud grain « il ne moud pas un grain », etc.
À part le dynamisme structural propre à n’importe quelle langue, j’ai remarqué plusieurs similitudes avec l’histoire de la langue roumaine, ce qui n’est pas tout à fait étrange – je pense qu’il y a un schéma d’évolution plus ou moins identique pour toutes les langues romanes. Comme dans le cas des Daces pour les roumains, les Gaulois qui occupaient jadis le territoire de la France n’ont pas laissé beaucoup de traces dans le français (environ 70 mots), leur langue étant assez vite supplantée par le latin. Pendant les temps des barbares il semble qu’il ait eu lieu les grandes divisions dialectales – les dialectes d’oïl, d’oc (nommés ainsi selon la façon de prononcer le oui) et francoprovençaux (chez nous on a, par contre, un dialecte nord-danubien – le daco-roumain et trois dialectes sud-danubiens – aroumain, istroroumain et meglenoroumain). Mais à partir du IXe siècle, même si on peut encore trouver des équivalences, l’histoire du français a une évolution beaucoup plus rapide que celle du roumain. Leur premier monument de langue, Les serments de Strasbourg date de l’année 842, tandis que le nôtre, La lettre de Neacsu, de 1521, à peu près une décennie avant que François Ier prenne la célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts pour que le français soit utilisé dans les documents officiels. (Le roumain sera utilisé systématiquement dans les documents officiels et de l’église seulement à partir du XVIIe siècle et l’alphabète cyrillique sera remplacé par celui latin en XIXe siècle.) Dès lors, le français ne semble avoir beaucoup changé :
Les grammairiens dès le XVIIe siècle, l’école depuis le XIXe, tentent de faire respecter les règles d’un français unique aux formes fixées une fois pour toutes, formes souvent difficiles à retenir et inexplicablement admirées dans leurs irrégularités les plus folles.

Écrit dans un style si simple qu’il est accessible même aux profanes de la linguistique, l’étude de Henriette Walter n’est quand même pas seulement l’histoire d’une langue, si incitante qu’elle soit. Il est aussi une plaidoirie pour un changement vers la simplicité qui s’avère de plus en plus nécessaire pour que le français ne dépérisse. En fin de compte,

Plus ou moins consciemment, chacun d’entre nous se laisse prendre tour à tour aux fascinations de deux courants opposés : celui de la tradition, qui conduit à se mouvoir avec délices dans le carcan des règles et des interdits qu’impose le « bon usage », et aussi à se passionner pour les championnats de l’orthographe; et celui de la modernité, qui pousse à enfreindre les règles et à innover hors des sentiers permis.

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