suivi de
« Les transformations des contes merveilleux » et de E. Mélétinski
« L’étude structurale et typologie du conte ». Traductions de Marguerite Derrida,
Tzvetan Todorov et Claude Kahn. – Éditions du Seuil 1973 ISBN 2-02-000587-5 254
p.
Lu du 8 juillet au 13 août 2017
Mon vote :
Parue en 1927, mais devenue célèbre
seulement environ trente ans plus tard, la Morphologie
du conte de Vladimir Propp a été pendant longtemps, et continue de l’être
malgré certaines contestations et modifications, une vraie Bible du
folkloriste. Je me rappelle même aujourd’hui les fréquentes références que
notre professeur de folklore faisait, en 1985, à cet ouvrage, aussi qu’il était
une lecture absolument obligatoire pour tous les étudiants de la faculté de
philologie.
Je l’ai relu avec un grand plaisir,
surtout parce que sa rigueur convient à ma pensée, et aussi parce que, bien que
je ne sois jamais devenue spécialiste en folklore (loin de ça), je continue à être
fascinée par les contes merveilleux dans lesquels je cherche, moi aussi, les
traces des mythes.
Le livre réunit en effet trois
études : deux par Vladimir Propp et un par E. Mélétinski.
Le premier essai, Morphologie du conte, commence, comme toute étude scientifique, par
démontrer qu’il veut remplir un manque dans le domaine : la classification
des contes jusqu’à maintenant était imprécise et confuse, parce qu’elle se
faisait soit par catégorie (comme celle de W. Wundt qui distinguait
entre contes-fables mythologiques, contes merveilleux pures, contes et fables
biologiques, fables purs sur les animaux, contes « sur l’origine »,
contes et fables humoristiques et fables morales, sans préciser ce qu’il entend
par la catégorie de fable et employant le terme « humoristique » sans
tenir compte du fait qu’un texte peut être traité à la fois d’humoristique et
d’héroïque), soit par sujet (comme la liste d’ailleurs très utile faite
par le représentant de l’école finnoise Antti Aarne, qui trouvait trois
catégories de contes : sur les animaux, proprement-dites, anecdotes, en
subdivisant les contes merveilleux en l’ennemi magique, l’époux magique,
la tâche magique, l’auxiliaire magique, la force/ connaissance magique, autre
éléments magiques, sans réaliser que la proximité des sujets rend parfois
impossible la référence d’un texte à tel ou tel type).
En rêvant d’une classification aussi
rigoureuse que Linné a fait dans la botanique, l’auteur considère que l’apparente contradiction entre
la diversité, le pittoresque du conte et son uniformité s’explique par le fait
qu’il a des personnages très nombreuses dont les fonctions, très peu
nombreuses, passent de l’un à l’autre (pour Propp le mot « fonction »
couvre l’action d’un personnage et son importance dans l’intrigue). Il en
résulte quatre thèses fondamentales :
1. « Les fonctions sont les parties
constitutives fondamentales du conte.
2. Le nombre des fonctions que comprend le
conte merveilleux est limité. »
3. « La succession des fonctions est
toujours identique. »
4. « Tous les contes merveilleux
appartiennent au même type en ce qui concerne leur structure. »
En se basant sur un recueil de contes
russes (fait qui lui sera reproché par la suite comme une limitation), il formule
ses fameuses trente et une fonctions, établies à partir de la situation narrative
initiale : l’éloignement, l’interdiction, la transgression,
l’interrogation, l’information, la tromperie, la complicité, le méfait, le
manque, la médiation (ou le moment de la transition), le départ, la première
fonction du donateur, la réaction du héros, la réception de l’objet magique, le
déplacement, le combat, la marque, la victoire, la réparation, le retour,
la poursuite, le secours, l’arrivée incognito, les prétentions mensongères, la
tâche difficile, la tâche accomplie, la reconnaissance, la découverte (du
méchant), la transfiguration, la punition et le mariage.
L’auteur est convaincu qu’on ne peut
isoler plus de 31 fonctions, qui appartiennent au même axe, c’est-à-dire aucune
n’en exclut une autre, et chacune découle de celle qui la précède. On peut
remarquer aussi que la plupart des fonctions sont en couple (interdiction –
transgression, interrogation – information ; combat – victoire etc.) et
qu’il est possible de les rassembler par groupes (par ex. celles qui
constituent le nœud de l’intrigue, comme le méfit, le secours, la réparation)
De la même façon qu’on applique un tissu à un mètre pour déterminer sa longueur, on peut appliquer les contes à ce schéma pour les définir.
Souvent, pourtant, des fonctions
différentes peuvent être exécutées de la même façon (par exemple, on demande au
héros de choisir un cheval ou une fille). C’est un phénomène d’assimilation, et
le critère pour les différencier est en trouvant la conséquence : il
s’agit d’une mise à l’épreuve si la conséquence est la réception d’un objet
magique et d’une tâche difficile si la conséquence est obtenir la fiancée.
Si le nombre de fonctions est réduit à 31,
le nombre de personnages entre qui se répartissent ces fonctions est encore
moindre : seulement sept, identifiés selon leurs sphères d’action :
la sphère d’action de l’agresseur (comprenant le méfait, le combat, la
poursuite) ; du donateur (préparation et don de l’objet magique) ; de
l’auxiliaire (déplacement dans l’espace, réparation du méfait ou du manque,
secours, accomplissement de la tâche, transfiguration) ; de la princesse/
personnage recherché (demande d’accomplir une tâche, marque, découverte du faux
héros, reconnaissance, punition, mariage) ; du mandateur (l’envoi du
héros) ; du héros (départ, réaction aux exigences du donateur,
mariage) ; du faux héros (départ, réaction négative aux exigences du
donateur, prétentions mensongères).
Propp peut maintenant donner la définition
du conte :
On peut appeler conte merveilleux du point de vue morphologique tout développement partant d’un méfait (A) ou d’un manque (a), et passant par les fonctions intermédiaires pour aboutir au mariage (W) ou à d’autre fonctions utilisées comme dénouement. La fonction terminale peut être la récompense (F), la prise de l’objet des recherches, ou d’une manière générale, la réparation du méfait (K), le secours et le salut pendant la poursuite (Rs), etc. nous appelons ce développement une séquence.
Le point final de l’étude est l’élaboration d’une formule unique, un schéma
qui a l’ambition de réunir tous les contes pour démontrer « l’uniformité
absolue de la structure des contes merveilleux. »
Le deuxième étude, plus court, a trait aux
Transformations des contes merveilleux. Une
idée formulée plutôt en passant dans Morphologie du conte, que « le
conte merveilleux, dans sa base morphologique, est un mythe », devient la
prémisse de cet essai. L’auteur fait la distinction entre les formes
fondamentales et celles divisées du conte, en suivant quelques principes
généraux : est fondamentale toute forme liée à l’origine du conte et/
ou toute forme conservant un élément religieux archaïque ; si le même
élément apparaît dans la religion et la réalité, la forme religieuse est
primaire, l’autre secondaire (par exemple Baba Yaga, dans son image de
maîtresse des forêts, semble inspirée de Rig Veda).
… d’une façon générale, c’est de la religion au conte que se dessine le mouvement et non pas à l’inverse, et… c’est ici qu’on doit commencer des recherches comparatives précise.
A partir de ces principes, il établit
quatre critères pour distinguer les formes fondamentales de celles
dérivées :
1. l’interprétation merveilleuse d’une
partie du conte est antérieure à celle rationnelle (la situation où Ivan reçoit
un don de Baba Yaga est antérieure à celle où il reçoit un don d’une vieille) ;
2. l’interprétation héroïque est
antérieure à celle humoristique (la scène où le héros se bat avec le dragon est
antérieure au fait de battre le dragon aux cartes) ;
3. la forme appliquée logiquement est
antérieure à celle appliquée de façon incohérente ;
4. la forme internationale est antérieure
à celle nationale et celle-ci à la forme régionale.
Le conte (merveilleux) vient des anciennes religions, mais la religion contemporaine ne vient pas des contes. Elle ne les crée pas non plus, mais elle modifie leurs éléments. Il y a aussi quelques rares cas d’une véritable dépendance inverse, c’est-à-dire des cas où les éléments de la religion viennent du conte. L’histoire de la sanctification de saint Georges avec le dragon par l’Église occidentale nous en fournit un exemple très intéressant. Ce miracle fut sanctifié bien après que saint Georges fut canonisé et cette sanctification se heurta à une résistance obstinée de la part de l’Église.
Par la suite, Propp essaie de faire un inventaire
des modifications d’un élément, prenant comme exemple la chaumière de Baba
Yaga, l’image de laquelle peut connaître, entre autres, une réduction (quand on renonce aux détails, ne
mentionnant plus que c’est une chaumière sur des pattes de poule dans la
forêt), ou au contraire, une amplification, une substitution soit
interne (la chaumière devient palais ou montagne près d’une rivière de feu) soit
réaliste (elle devient auberge ou maison à deux étages) ou une assimilation soit interne (chaumière
sous un toit d’or ou près de la rivière de feu), soit réaliste (chaumière au
bout du village ou caverne dans la forêt), etc.
La conclusion est qu’il faut toujours
« comparer non pas suivant une ressemblance extérieure, mais suivant des
parties constitutives identiques. »
Le troisième essai du livre, L’étude structurale et typologie du conte
est écrit non par Propp mais par E. Mélétinski, qui souligne l’importance qu’a
eu pour le structuralisme l’étude de l’écrivain russe. Il compare ses idées avec
celles de Claude Lévi-Strauss, qui a essayé aussi d’appliquer les principes de
la linguistiques structurale au folklore, et a considère le mythe un phénomène
de langage.
En conclusion, qu’on admire ou on conteste
le modèle proposé par Propp, qu’on essaie de l’améliorer ou de le simplifier,
il est sûr qu’il a changé la façon de percevoir le texte narratif, en étant le
premier à souligner que le récit est une structure à deux plans : un de
surface, l’autre de profondeur. Comme le dit Christian Vandendorpe, dans son
étude Apprendre à lire des fables
(citation extraite de Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Morphologie_du_conte):
« Désormais, on ne lira plus les
récits de la même façon. Loin de voir dans le conte une distraction tout juste
bonne pour des enfants, le lecteur se met maintenant à y chercher des
"étages" (Barthes, 1966) susceptibles de faire apercevoir des
rapports et des effets de sens nouveaux. »
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