– Éditions Robert Laffont, S.A. Paris
2001. 446 p.
ISBN 978-2-253-15444-0
Lu du 5 décembre 2016 au 30 janvier 2017
Mon vote :
C’est grâce à ma très chère amie Francine
et à son grand amour pour la langue française que j’ai découvert Henriette
Walter il y a quelques années. C’est elle qui m’a recommandé le premier livre
que j’allais lire de cette excellente linguiste, Le français dans tous les sens,
tout comme c’est elle qui m’a fait cadeau le deuxième, Honni soit qui mal y pense. Et j’ai retrouvé avec satisfaction dans
ce dernier la même façon simple et intéressante de présenter les faits
scientifiques sans quand même les vulgariser, la même vivacité et tendre ironie
qui avait fait de l’histoire du français un bildungsroman dans le premier
volume et qui transforme l’étude comparé du français et de l’anglais dans une
histoire d’amour dans celui-ci.
De plus, il a été amusant, en relisant ma
critique du Français dans tous les sens,
de remarquer que je l’avais commencée avec une histoire de faute d’orthographe
drôle (« blé dinde »), dont j’ai trouvé en plaisantant une
justification étymologique dans le vieux nom de la dinde – poule d’Inde. Et
bien, la lecture de cet étude me permet d’aller maintenant encore plus loin et d’expliquer
que le nom du blé d’Inde donné au maïs au Québec est un calque linguistique de
l’anglais américain (car le britannique maize
n’a jamais été employé aux Etats-Unis où on a préféré corn (qui désignait toute céréale au XVIIe siècle),
après l’avoir nommé pour un temps, évidemment, Indian corn !
Mais ce mariage, d’après quelques uns
scandaleux, entre le français et l’anglais sur le continent américain a été
précédé d’à peu près cinq siècles de fiançailles tumultueuses, inaugurées en
1066, quand, après la victoire de Hastings et la mort du roi Harold, Guillaume
de Normandie devient roi de l’Angleterre et apporte le français à la cour anglaise,
où il deviendra par après langue de cour (Dieu
et mon droit), de noblesse (Honni
soit qui mal y pense) et d’administration pour trois cent ans, c’est-à-dire
jusqu’au XIVe siècle quand l’anglais commence à s’imposer après les
actions de Jeanne d’Arc.
Nées des parents différents, les deux
langues ne semblaient avoir rien en commun au début. Si dans le vieux Albion c’est
la langue des vikings qui a vaincu la langue celtique de laquelle sont restés
seulement quelques hydronymes et
toponymes (le plus connu étant Avon
qui se traduit par « cours d’eau ») en Gaule c’est le latin qui s’impose
vite après l’arrivée des Romains, du gaulois restant quelques mots du vocabulaire
de la forêt et de la campagne (bouleau, bruyère, bouc, chamois, charrue,
sillon, bourbe, glaise, etc.).
Par la suite, au début du 12e
siècle les premiers mots français sont attestés en anglais : proud du prud (évolué en preux) avec
l’ancien sens « vaillant », bacon
du bacon qui en vieux français
désignait la flèche de lard de porc salé, parrot,
de Pierrot, ou (j’ai trouvé ça intéressant),
butler (qui au XIVe siècle
désignait le maître d’hôtel) du bouteiller
(sommelier). Pendant environ trois siècles, les deux langues flirtent sans
cesse, se prêtent des mots et des expressions, où se tendent des pièges
cordiales qui se transformeront en amis plus ou moins faux, comme jolly qui vient d’un vieux mot français,
jolif, signifiant alors
« joyeux, drôle » ou onerous
qui reprend le sens latin « pénible » (du latin onus, oneris – charge,
fardeau), pendant qu’onéreux se
traduit en anglais par expensive. Parfois,
les faux amis ne le sont qu’à moitié, comme figure qui traduit « silhouette » dans les deux langues
mais « visage » seulement en français, ou rare qui signifie « pas fréquent » autant en français
qu’en anglais, mais « peu cuit » seulement en anglais.
L’amour est tellement grand qu’il donne
naissance à de nouveaux mots parfois à partir des mêmes erreurs : c’est
d’un malentendu (littéralement !) que s’est créé licorne en français (en pensant qu’unicorne était formé de deux
mots (« une icorne »), qui avec l’article défini devient « l’icorne »
et puis, naturellement, « licorne ») et nickname en anglais (‘an ekename’ – de eke, « ajouter « – est devenu ‘a nekename’ et puis ‘nickname’).
Malheureusement, comme le dit l’autrice
même dans des syntagmes inspirés, « un siècle d’hostilités » suit ces
« trois siècles d’intimité ». En effet, la guerre de Cent Ans (1337-1453)
a contribué à éloigner l’anglais du français, même si, paradoxalement, à la
même époque, c’est-à-dire juste après la chute de Calais en 1337, le roi Edward
III crée L’ordre de la Jarretière (le plus ancien et le plus élevé de tous, étant
donné qu’il compte seulement 24 chevaliers, le roi ou la reine et le prince de
Galles) avec une devise en français : Honi
soit qui mal y pense (à l’époque on écrivait honni avec un seul n), allègement les mots du roi en ramassant une
jarretière tombée par terre qui avait fait rire les nobles de la cour.
Dès lors, les deux langues vont évoluer
indépendamment : le français commence à être parlé partout, sauf en
Angleterre, où l’anglais se développe sur le dialecte de Londres, à partir du XVe
siècle, grâce à l’introduction de l’imprimerie en Angleterre par William
Caxton. Au XVIe siècle, l’anglais renonce au « thou » de
tutoiement pour employer seulement la forme « you » pour les deux
personnes. En effet, le dernier remplace quatre formes : deux du nominatif
(thou pour singulier et ye pour pluriel) et deux de l’accusatif (thee
au singulier et you au pluriel)
Même séparées, les deux langues continuent
à partager la même sort, car leurs érudits compliquent l’orthographe soit par
amour du latin, surtout en Angleterre où, par exemple, debt et doubt reçoivent
un b pour rappeler debitum
et dubitum et reign le g du regnum, soit par fierté
de classe en France :
Dans les discussions qui animaient l’Académie des premiers temps s’affrontaient d’une part, les réformateurs dans la ligne de Ronsard qui, dès 1550, s’était montré favorable à une adaptation de la forme graphique à la phonétique, de l’autre, des conservateurs, partisans de l’ancienne orthographe, celle « qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes.
La découverte du Nouveau Monde va changer encore
une fois l’histoire linguistique, car, « en prenant le large », les
deux langues se réconcilient de nouveau, même s’ils flirtent sans remords au
début avec les langues amérindiennes et puis avec les langues des immigrants,
pour enrichir et souvent changer la version européenne.
Ainsi l’anglais d’Amérique est influencé
par les langues amérindiennes : racoon,
skunk, opposum, squash etc., mais aussi par le français, surtout pour le nom
des lieux : Belair, Belpre, Belmont,
etc. A l’intérieur de la langue, le sens des certains mots britanniques
change : pond – à l’origine petite
mare artificielle, devient grande étendue d’eau ; creek – crique, devient cours d’eau, toute comme la graphie et / ou
la forme changent : aluminium – aluminum, driving licence – driver’s
license, holiday – vacation, postcode – zip code etc.
L’histoire du français dans le Nouveau
Monde est encore plus compliquée, en commençant avec les toponymes : Québec est une altération de Quilibec (qui signifie en algonquin
l’endroit où les eaux se rétrécissent), tandis que Canada provient du Kanata (qui en huron ou iroqois désignait
n’importe quel village). Quant à la première colonie française du Nouveau Monde,
elle s’appelait La Cadie et puis L’Acadie, nom changé par les Anglais en Nova
Scotia.
Entre 1608 et 1763, le français domine
dans La Nouvelle France : 95% des habitants sont d’origine française, en
grande partie provenant du domaine d’oïl. Entre 1763 et 1960, le français doit
faire face à l’anglais, et les premiers anglicismes apparaissent (comme mop, qui alterne avec vadrouille, forme qui existe en France
au Calvados). Depuis 1960, la Loi 101, connue sous le nom de la Charte de la
langue française, fait du français la seule langue officielle au Québec.
En Acadie, après la conquête des Anglais et
la tragédie du « Grand Dérangement », une partie des colons français s’établit
en Louisiane, où depuis 1968, le français devient langue officielle à côté de
l’anglais. C’est un français parfois déconcertant, car il est mêlé
d’anglais : ici on dit marcher à
l’office pour aller au bureau à pied, ou il a drive jusqu’à la maison de cour pour informer qu’il est allé
en voiture jusqu’au palais de justice.
Pour retourner au français du Canada, et
surtout à celui du Québec, on retrouve ici des mots avec des sens perdus en
France (garde-robe – placard, jaquette – chemise de nuit, suce – tétine, cadran – réveille-matin, etc.), ou gardés seulement dans quelques
régions de celle-ci (mouillasser – pleuvoir,
place – sol de la maison, etc.), ou
des innovations pour résister aux influences de l’anglais (traversier – ferryboat, magasinage – shopping, courriel – e-mail, etc.), ou des mots
calqués de l’anglais (pâte à dents – pâte
dentifrice, papier de toilette – papier
hygiénique, breuvage – boisson non
alcoolisée -du beverage, liqueur – boisson gazeuse sans alcool,
etc.).
Le grand intérêt du lexique français du Canada réside dans le fait qu’il est à la fois détenteur de vestiges des formes anciennes du français et évocateur de mots encore vivants dans certains régions de France, tout en étant résolument novateur, ce qui justifie l’impression de charme et d’étrangeté qui le caractérise par rapport au français de France.
Après avoir souligné le rôle de grands
dictionnaires à partir du XVIIIe siècle et après avoir fait la
différence entre francophonie (avec minuscule), qui désigne l’ensemble des
populations dont la langue maternelle est le français et Francophonie
(avec majuscule), qui comprend l’ensemble des pays qui ont le français « en partage », dans
une coopération culturelle, scientifique et technique, l’autrice souligne qu’il
y a aujourd’hui le phénomène de la mondialisation du vocabulaire qui estompe de
plus en plus les barrières linguistiques, surtout entre le français et
l’anglais, qui,
…s’étant fréquentées sans discontinuer, et de façon très intime depuis si longtemps, (…) ont bénéficié chacune des cadeaux lexicaux que lui faisait l’autre.
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