Editions de Minuit, 1984
Lu du 20 au 26 novembre 2012
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J’ai lu quelque part que Julia Kristeva avertissait les lecteurs d’un équilibre mental fragile de ne pas lire les œuvres de Marguerite Duras, parce qu’elles pourraient les amener près de l’expérience de la folie. Et que « L’amant », de ce point de vue, ne serait que l’histoire de la folie gothique de la mère de la narratrice, à laquelle cette dernière essaie de s’échapper en effaçant son image.
L’hypothèse est séduisante, mais elle ne couvre qu’une partie de ce mini roman dont le thème principal est, c’est vrai, la famille (le deuxième thème, l’amour, n’est qu’un prétexte pour mieux mettre en évidence le premier). Une famille marquée par la folie, le crime et la mort, à laquelle la narratrice voit la chance de s’échapper dès sa première rencontre avec son futur amant : « Dès qu’elle a pénétré dans l’auto noire elle l’a su, elle est à l’écart de cette famille pour la première fois et pour toujours. » Et c’est le rôle de l’amant de produire la rupture en incarnant, paradoxalement, tous les images masculines de la famille : le père (« j’étais devenue son enfant »), le frère aîné (« par la chambre passe l’ombre d’un jeune assassin » ) et le petit frère (« par la chambre passe l’ombre d’un jeune chasseur »). Et je pense que c’est ici qu'on trouve la stylistique du changement de focalisation qui apparaît presque chaque fois que la narratrice évoque les scènes d’amour, en changeant la première personne de la voix narrative avec la troisième. En objectivant sa relation, elle la transforme dans la pierre milliaire de son destin, le moment de la fuite, de la rupture ; non nécessairement le récit d’un couple, car cette Lolita n’a pas d’Humbert et ce Roméo n’a pas de Juliette – mais le récit du chemin vers l’expérience, commencé à quinze ans et demi avec la révolte qui mènera à la séparation de la mère qui vit seulement pour le frère aîné, du frère aîné qui vit seulement pour profiter matériellement de sa famille et du petit frère qui s’en meurt en achevant ainsi cette séparation.