- traduction d’Alzir Hella, Le livre de
poche, Éditions Grasset & Fasquelle 1993 ; 506 p. ISBN
978-2-253-14669-8
Lu du 18 octobre au 2 décembre 2016
Mon
vote :
Je ne savais pas grand-chose sur
Marie-Antoinette avant de lire l’extraordinaire biographie que lui a faite
Stefan Zweig. Un petit peu du côte historique – dernière reine de la France
avant la Révolution française, décapitée (je pensais) en même temps que son
mari, le Roi Louis XVI, un petit peu du côté culturel – une des dernières représentantes
du rococo, et un petit peu du côté anecdotique (j’ai n’ai jamais traité de
vraie cette histoire) – son supposé conseil au peuple affamé de manger de la
brioche. Je n’étais aucunement curieuse de savoir plus d’elle (de cette époque
c’est la figure de Robespierre qui m’a vraiment fasciné). Par conséquent, quand
une amie, à son retour de France, m’a fait cadeau ce livre, acheté, « directement
de Versailles », c’est le nom de l’auteur qui m’a poussé le lire, car je n’étais
que modérément curieuse à apprendre de plus sur la vie de cette reine, dont je considérais
la célébrité causée plutôt par son destin tragique que par ses exploits.
Néanmoins, la biographie de Stefan Zweig, sans
contredire cette opinion, touche plutôt à son humanité qu’à sa personnalité,
disons, officielle, la rendant vive, complexe et belle justement dans sa
médiocrité, bref, la sortant des pages froides de l’Histoire pour faire d’elle
un personnage presque littéraire. D’ailleurs, dès l’introduction, l’auteur nous
avoue qu’il a voulu d’une part changer l’image controversée qu’elle a laissée à
la postérité (soit de sainte, soit de pécheresse) et d’autre part montrer
comment l’Histoire se charge de créer des héros malgré eux, rendant tragique
même un être ordinaire, car:
…le tragique existe aussi quand une nature moyenne, sinon faible, est liée à un destin formidable, à des responsabilités personnelles qui l’écrasent et la broient, et cette forme ici me paraît même plus poignante du point de vue humain.
Ainsi le texte narratif sera-t-il organisé
autour de quelques antinomies, d’ordre moral, socio-psychologique et politique :
égocentrisme/ civisme (ce qu’elle a fait et ce qu’elle aurait pu/ dû faire), vie
intérieure/ circonstances extérieures (les raisons psychologiques qui
expliqueraient ses agissements et les raisons historiques qui ont conduit à son
destin tragique), royauté/ république (avec leur idéaux opposés).
Du point de vue moral, bien que fille
d’une femme tout à fait exceptionnelle, l’impératrice autrichienne
Marie-Thérèse, Marie-Antoinette ne saura démontrer sa fière descendance qu’à
partir du moment où sa vie change pour le pire ; le chemin qui la conduit
vers la tragédie et le chemin qui la conduit vers elle-même, comme elle le dira
mémorablement dans une lettre adressée à l’impératrice Catherine de
Russie : « C’est dans le malheur qu’on sent davantage ce qu’on
est. »
Et pourtant, observe l’auteur en suivant
la rhétorique romantique, elle aurait dû s’en douter, si elle avait su lire
certains mauvais auspices qui ont assombri son arrivée en France : d’abord,
les fins gobelins choisis pour décorer le pavillon où a eu lieu la cérémonie de
mariage, qui représentaient la légende de Jason et Médée, le pire exemple d’un
mariage qui ait pu exister ; puis, mauvais signe dans la croyance
populaire, la tâche d’encre qu’elle a fait à côté de sa signature sur le
contrat de mariage ; enfin, la furieuse tempête qui précède son arrivée à
Paris.
Mariée à quinze ans avec un adolescent
lourd et dépourvu de sensibilité, ses actions pourraient être psychologiquement
expliquées, croit Zweig, aussi par sa jeunesse et son tempérament superficiel
(belle, charmante, gracieuse elle évitait à tout prix les choses sérieuses,
comme l’éducation, la lecture, la politique) que par le manque de relation sexuelle
avec son mari. En effet, Louis XVI ne sera capable d’exercer ses devoirs
conjugaux qu’après sept ans, à cause d’un problème médical résolu finalement
par une petite opération. Cette impotence aura des conséquences majeures sur le
caractère des deux époux : pour lui, sa manque de virilité se traduira par
une manque de confiance en soi, faisant de lui un roi hésitant, incapable de
prendre des décisions dans les moments cruciaux ; quant à Marie Antoinette,
elle cherchera d’oublier le vide matrimonial en s’entourant de gens frivoles à
la recherche des plaisirs faciles :
…la destruction de l’autorité royale, en vérité, n’a pas commencé avec la prise de la Bastille, mais à Versailles. Car ce n’est pas par hasard que la nouvelle de l’impuissance sexuelle du roi et les mensonges malveillants sur l’insatisfaction sexuelle de la reine, partis du château de Versailles, parviennent si vite à la connaissance de la nation entière ; il y a là, au contraire, des raisons secrètes d’ordre politique et familial.
Cependant, au moment de la mort de Louis
XV, les circonstances leur étaient très favorables, le nouveau roi et sa reine
étant accueillis chaleureusement par le peuple, qui leur fait confiance. Mais
le couple ne sait s’élever à la hauteur de la situation ni en profiter :
le roi est préoccupé seulement de la chasse, la reine de ses distractions à
Paris et à Trianon, desquels elle ne se fatigue pas pendant vingt ans, malgré
les lettres sévères de sa mère qui essaie de réveiller en elle le sens du
devoir. Insouciante, dépensière et coquette, elle aspire seulement au titre de
la reine de l’élégance, pour devenir, selon l’auteur, l’exemple le plus éloquent
des mœurs et de l’art de vivre du XVIIIe siècle, « la reine du
rococo ».
Si les temps avaient été médiocres comme eux-mêmes, ils eussent fait bonne figure et vécu honorés. Mais ni Louis XVI ni Marie-Antoinette n’ont su, par une transformation intérieure et une élévation de cœur, se mettre au diapason d’une époque particulièrement dramatique ; ils ont mieux su mourir dignement que vivre fortement et héroïquement.
Même après que le roi réussit enfin à
mettre fin à son impotence et Marie-Antoinette devient mère (la scène dans
laquelle elle accouche, conformément au protocole, entourée des 50 membres de
la cour avides après 7 heures de travail à une fille, est inoubliable), elle
continue à négliger ses devoirs de reine. Peu à peu, en s’entourant des favoris
qu’elle accueille dans son petit palais à Trianon tout en excluant des noms illustres
de la haute société, la reine se fait beaucoup d’ennemis, parmi lesquels, le
duc d’Orléans, dont la reine a blessé l’orgueil en lui refusant le titre de
grand amiral de France. C’est à sa résidence, au Palais Royal, qu’on va
organiser le premier club de la Révolution, sous la conduite d’un chef faible
et vaniteux qui commence une conjuration contre elle, dans un premier temps en
répandant des calomnies d’abord pour réveiller et par après pour entretenir la
haine du peuple.
En 1785 le concert de calomnies bat son plein, le thème est fourni, la cadence est donnée. La Révolution n’a qu’à crier dans les rues ce qu’on a inventé et rimé dans les salons pour trainer Marie-Antoinette devant le tribunal. Les mots d’ordre de l’accusation, c’est la cour qui les lui a soufflés.
C’est dans ces circonstances que commence
la ténébreuse affaire du collier, mise à pied par une aventurière, Jeanne de la
Motte, qui a réussi à s’insinuer dans la haute société et à convaincre le
cardinal de Rohan qu’elle est une intime de la reine. Rohan voulait que la
reine, qui le dédaignait, le reçoive parmi ses favoris, et Jeanne, en sachant
cela, lui fournit des fausses nouvelles encourageantes, de petits billets
toujours faux et lui facilite même une rencontre nocturne dans le parc de
Versailles avec une fille qui ressemblait à la reine. Finalement, elle lui
communique que la reine voudrait avoir un fameux collier mais n’ayant pas
encore l’argent, aimerait qu’il le prenne à son nom, allant le payer plus tard.
Comme Stefan Zweig, moi aussi je pense que même si la reine n’est pas coupable
du point juridique dans cette affaire elle l’est du point de vue moral, car
c’est sa conduite qui a encouragé les escrocs à la tromper et les gens honnêtes
à croire qu’elle puisse être capable de rendez-vous douteux et des achats par
intermédiaires.
Avec l’affaire du collier commence le
déclin, car l’arrestation de Rohan (que la reine croit avoir comploté contre
elle) a indigné Versailles et les adversaires secrets de la reine en font une
cause commune. Rohan est acquitté, non comme l’exige l’accusation, avec des
excuses devant la reine et une admonestation pour son « excessive
témérité » mais « sans aucun blâme », ce qui laisse la reine
sans défense devant la calomnie et la haine. De plus, Mme de la Motte réussit à
s’évader et part pout l’Angleterre où commence à répandre des mensonges jusqu’à
ce qu’on commence à considérer Marie Antoinette une dépravée et la voleuse une
victime et le seule fait que la dernière se suicide dans un accès de folie va empêcher
le tribunal révolutionnaire à l’appeler comme témoin au procès :
Sans cette intervention du sort, le monde aurait assisté à une comédie beaucoup plus grotesque encore que le procès du collier : on eût vu la calomniatrice acclamée à l’exécution de sa victime.
Après cette affaire, Marie Antoinette
essaie de changer son image, en diminuant ses dépenses, en s’impliquant dans la
politique et en renonçant à ses amis. Mais sa réputation est maintenant bien
fixée dans la mémoire du peuple qui ne croit plus en elle, la hait et la
regarde avec dédain.
Après la chute de la Bastille, et forcée
de quitter Versailles pour se rendre à Paris sous la pression populaire, la
famille royale déménage à Tuileries, où la reine commence finalement à agir en
reine, en faisant « de son bureau une chancellerie, de sa chambre un
cabinet de diplomate ». Mais toutes ses tentatives de sauver le trône échouent,
soit à cause des hésitations perpétuelles du roi, soit par un manque de
confiance dans un Mirabeau, par exemple :
L’être démoniaque inspire toujours à l’être moyen une méfiance instinctive, et Marie-Antoinette est incapable de comprendre l’amoralité grandiose de ce génie, le premier et le dernier qu’elle rencontre dans sa vie.
Après la mort de Mirabeau, son amant Fersen
(les chapitres qui décrivent ce seul amour de la reine sont vraiment
émouvantes) prépare un plan laborieux de fuite, qui échouera à son tour. Elle
essaie alors de provoquer la guerre, en trahissant le plan de campagne des
armées révolutionnaires à l’ambassadeur autrichien. Son geste pourrait être
qualifié de haute trahison, si on oubliait que l’idée de patrie n’existait pas
encore en ce temps-là, où le pays appartenait au roi et la trahison était
considérée seulement envers lui.
Le roi est détrôné et le 21 janvier 1793
exécuté ; après quelque mois la « veuve Capet » aussi, séparée
de ses enfants et de sa belle-sœur, est mise sous accusation et envoyée à la
Conciergerie, la prison pour les condamnés à la mort. Personne ne bougera un
doigt pour elle : ni ses beaux-frères en exil, ni son neveu l’empereur
autrichien François, ni autre empereur ou roi européen.
On l’accuse de plusieurs choses, vraies ou
fausses, la plus infâme étant celle d’inceste : en surprenant son fils de
8 ans se masturber, on lui suggère de déclarer qu’il ait entretenu des rapports
incestueux avec sa mère et sa tante. Durant le procès aucune des accusations ne
peut être prouvée – quand même Marie Antoinette est condamnée à la mort, comme
l’ennemie du peuple. Portée à l’échafaud dans une charrette rudimentaire, la
grande dignité avec laquelle elle fait ce dernier voyage va rester pour
toujours dans la mémoire de la postérité.
Oubliée
pour quelque temps (ni même l’épouse de Napoléon, bien qu’apparentée à elle ne
s’intéresse à sa tombe), son corps va être retrouvé dans un fossé commun le
moment où Louis XVIII, venu au pouvoir, ordonne de trouver les cadavres de son
frère et sa belle-sœur pour leur ériger un mausolée :
On se met donc à creuser. Enfin la bêche rencontre une couche plus dure. Et on reconnaît à une jarretière à moitié pourrie que la poignée de pâle poussière qu’on sort, en frémissant, de la terre humide, est la dernière trace de celle qui en son temps fut la déesse de la grâce et du goût, puis la reine éprouvée et élue de toutes les souffrances.
Avec cette image poignante de la
jarretière pourrie finit la biographie de cet être qui, petit dans le bonheur,
s’est racheté dans le malheur. Le travail du narrateur est fini. Comme il l’a
voulu, il a réussi, et il le réitère dans sa Note finale, à créer le portrait de Marie Antoinette sans
l’idéaliser, tout en respectant la loi suprême de la psychologie, qui est de
rendre compréhensible l’humain et dont la tâche n’est pas d’excuser, mais
d’expliquer :
Cette tâche a été tentée ici sur un être moyen qui ne doit pas son rayonnement en dehors du temps qu’à une destinée incomparable, sa grandeur intérieure qu’à l’excès de son malheur et qui, je l’espère du moins, sans qu’il soit besoin de l’exalter, peut mériter, en raison même de son caractère terrestre, l’intérêt et la compréhension du présent.
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