– Robert
Laffont 2005
Lu du 17 juillet au 17 août
2015
Mon vote :
Il y a un ou
deux mois je me suis beaucoup amusée en lisant une petite annonce collée sur la
fenêtre de mon épicerie : « nous avons blé dinde ». C’est après
la lecture du livre de Henriette Walter, Le
français dans tous les sens, que j’ai constaté que, sans se rendre compte,
la préposée qui avait écrit l’annonce ne s’était pas tellement trompée.
Effectivement, le nom de la dinde a évolué du syntagme « poule
d’Inde » comme elle était jadis nommée.
L’étude de
Henriette Walter est plein de ce genre d’informations à la fois amusantes et
intéressantes concernant non seulement l’évolution des mots, mais aussi celle
des sens, de la prononciation et de l’orthographe, le tout organisé comme une
histoire soit diachronique, soit synchronique du français dont elle révèle les
traits historiques, géographiques et structuraux tout en capturant, comme dans
un bildungsroman, son évolution dynamique.
Avec une ironie tendre,
l’auteure se moque du respect que les Français ont pour leur langue et pour ses
règles souvent incohérentes et absurdes, de leur soin de lui garder la pureté si
mise en valeur par les écrivains de la Pléiade, de la résistance qu’ils ont
pour toute reforme qui essaierait de mettre un peu d’ordre dans l’arbitraire des
décisions des académiciens du temps de Richelieu qui, dans leur effort de créer
une orthographe unique ont, entre autres, rétabli des formes archaïques avec
des consonnes superflues (corps, temps,)
ou ont choisi entre les formes avec « e » ou « a » (asperge non asparge, guérir non guarir, harneux non herneux) sur
le principe que même si « e » est plus doux que « a », il
ne faut quand même exagérer (!). Puis, en 1835, avec la parution de la 6e
édition du dictionnaire de l’Académie (considéré la Bible de l’orthographe), l’orthographe
telle qu’on la connaît et maudit aujourd’hui deviendra obligatoire dans tous
les examens et les documents.
D’autres
informations incitantes concernent l’évolution du sens. Par exemple,
« bureau » désignait initialement un tissu, puis le meuble que le
tissu couvrait, puis la chambre où ce meuble se trouvait, etc. Ensuite,
concernant cette fois la prononciation, il n’a pas été moins intéressant
d’apprendre que ce qu’on appelle aujourd’hui le « h aspiré » provient
de la consonne « h » introduite par les Francs et que les romains ne
prononçaient plus (ce qui se voit également dans les mots d’origine latine de
l’anglais où cette consonne est devenue muette aussi : honest, heir, honour, hour).
Il est également
bon de savoir que la double négation (une particularité du français parmi les
langues romanes), est née de l’habitude de renforcer le « ne » par pas, point, mie, goutte, ail, clou, miette,
grain :
À l’origine, pas garde son sens premier dans il ne marche pas « il ne fait pas un pas ». Mais on préférait probablement dire il ne mange mie (ou miette) « il ne mange pas une mie, pas une miette », il ne boit goutte « il ne boit pas une goutte », il ne coud point « il ne coud pas un point », il ne moud grain « il ne moud pas un grain », etc.
À part le
dynamisme structural propre à n’importe quelle langue, j’ai remarqué plusieurs
similitudes avec l’histoire de la langue roumaine, ce qui n’est pas tout à fait
étrange – je pense qu’il y a un schéma d’évolution plus ou moins identique pour
toutes les langues romanes. Comme dans le cas des Daces pour les roumains, les
Gaulois qui occupaient jadis le territoire de la France n’ont pas laissé
beaucoup de traces dans le français (environ 70 mots), leur langue étant assez
vite supplantée par le latin. Pendant les temps des barbares il semble qu’il
ait eu lieu les grandes divisions dialectales – les dialectes d’oïl, d’oc
(nommés ainsi selon la façon de prononcer le oui) et francoprovençaux (chez nous on a, par contre, un dialecte
nord-danubien – le daco-roumain et trois dialectes sud-danubiens – aroumain, istroroumain
et meglenoroumain). Mais à partir du IXe siècle, même si on peut encore trouver
des équivalences, l’histoire du français a une évolution beaucoup plus rapide
que celle du roumain. Leur premier monument de langue, Les serments de Strasbourg date de l’année 842, tandis que le
nôtre, La lettre de Neacsu, de 1521,
à peu près une décennie avant que François Ier prenne la célèbre ordonnance de
Villers-Cotterêts pour que le français soit utilisé dans les documents
officiels. (Le roumain sera utilisé systématiquement dans les documents
officiels et de l’église seulement à partir du XVIIe siècle et l’alphabète
cyrillique sera remplacé par celui latin en XIXe siècle.) Dès lors, le français
ne semble avoir beaucoup changé :
Les grammairiens dès le XVIIe siècle, l’école depuis le XIXe, tentent de faire respecter les règles d’un français unique aux formes fixées une fois pour toutes, formes souvent difficiles à retenir et inexplicablement admirées dans leurs irrégularités les plus folles.
Écrit dans un
style si simple qu’il est accessible même aux profanes de la linguistique,
l’étude de Henriette Walter n’est quand même pas seulement l’histoire d’une
langue, si incitante qu’elle soit. Il est aussi une plaidoirie pour un
changement vers la simplicité qui s’avère de plus en plus nécessaire pour que
le français ne dépérisse. En fin de compte,
Plus ou moins consciemment, chacun d’entre nous se laisse prendre tour à tour aux fascinations de deux courants opposés : celui de la tradition, qui conduit à se mouvoir avec délices dans le carcan des règles et des interdits qu’impose le « bon usage », et aussi à se passionner pour les championnats de l’orthographe; et celui de la modernité, qui pousse à enfreindre les règles et à innover hors des sentiers permis.
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