– Le livre de poche, 2006
(Re)Lu : du 31 mai au 30 juin 2013
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Il y a des livres d'une grandeur écrasante. Des livres mystérieux, qui
t'incitent et t'illusionnent et qui te refusent leurs secrets même après
plusieurs lectures. Des livres vieux comme la sagesse, éblouissants comme un
miracle, incitants comme une découverte. Des livres dont on a tout dit, et
pourtant on a seulement effleuré le sens.
Dans un univers
néanmoins riche en œuvres extraordinaires, ces livres particuliers sont chacun
et tous à la fois Le Livre, s'entrelaçant et se détachant en même temps pour
créer un monde miraculeux où notre âme se reconnait parmi des idées qui lui
sont si familières qu'elle se les revendique. À vrai dire, on aime, on
apprécie, on est émerveillé par tant de livres, mais combien parlent vraiment
de nous-mêmes? De moi, parlent au moins trois: "L'écume des jours",
toutes les fois que je découvre la cruauté et l'insouciance du monde cachées
derrière n'importe quelle beauté superficielle, "Les frères
Karamazov", toutes les fois que ma conscience me reproche la même cruauté
et insouciance envers les autres et "Cent ans de solitude" toutes les
fois que je me rends compte qu'il m'est impossible de changer en moi ou dans le
monde cette cruauté et insouciance.
Car je pense que le
vrai thème du roman du Marquez est celui-ci: l'inexorabilité du destin, amenant
à la simplicité tragique de l'existence humaine, où l'être est un humble pion
dans le jeu d'échecs des dieux cruels et moqueurs, qui s'amusent à lever un peu
le voile seulement quand il est trop tard pour remédier quoi que ce soit:
...car il était dit que la cité des miroirs (ou des mirages) serait rasée par le vent et bannie de la mémoire des hommes à l'instant où Aureliano Buendia achèverait de déchiffrer les parchemins, et tout ce qui y était écrit demeurait depuis toujours et resterait à jamais irrépétible...
Demandé quelle a été
sa source d'inspiration pour "Cent ans de solitude", Gabriel Garcia
Marquez a indiqué, entre autres, l'Iliade et la Bible et il est vrai que le
roman soit notamment une reconstitution exemplaire de l'histoire de l'humanité,
avec sa grandiose monotonie, son absurde répétition, sa pathétique recherche
d'un sens et son pouvoir d'autodestruction.
Les personnages
archétypales (Les Fondateurs, Le Guerrier, La Belle, Le Marchand, Le Sorcier,
etc.) sont des titans vaincus à l’avance, puisque leurs plus grands triomphes
sont également, hélas, leurs plus abjectes défaites, vu que chaque geste
exemplaire cache une infamie. Les fondateurs, José Arcadio Buendia et Ursula
Iguaran, comme tout autre couple primordial, sont coupables d'inceste et de
meurtre, et ces péchés stigmatisent aussi leurs descendants, provoquant
finalement l'extinction de la famille par la répétition symbolique des gestes
qui l'ont commencée: inceste et, cette fois, adultère commis par Amaranta Ursula
et Aureliano Babilonia. Ils n'ont jamais eu une chance et le seul témoin de
leur destin tragique, Melquiades, n'a été capable d'empêcher leur décadence
plus que Merlin de prévenir la mort du roi Arthur. Ses documents sibyllins,
inutiles comme toute prophétie déchiffrée a posteriori, rappellent seulement
que l'homme est une bête condamnée à la solitude, à la merci des Parques
aveugles qui tissent son destin comme bon leur semble.
Triste et résignée, l'histoire de Macondo nous fait
part, pourtant, d'un message audacieux: si l'homme ne peut changer sa condition
tragique, il peut se l'assumer dignement, en défiant les dieux avec chaque
récit qui la transforme en épopée.
"Des livres mystérieux, qui t'incitent et t'illusionnent et qui te refusent leurs secrets même après plusieurs lectures."
ReplyDeleteCe frumos sună aceste cuvinte, mai ales în franceză! Cu riscul de a părea patetică şi/sau ridicolă, mărturisesc că postarea de faţă m-a făcut să ascult o simfonie de Bach: https://www.youtube.com/watch?v=x7JZB-lC_Hw
...
Wow, mersi, nu cred c-am primit vreodata un compliment mai frumos!
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